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Le pied au 7e ciel

Veronica
Dix ans plus tard

Le ciel d’un bleu cobalt parfait de l’autre côté des larges fenêtres du Cessna 172 est totalement dépourvu de nuages, puisque nous volons bien au-dessus. Le bourdonnement du moteur à hélice couvre tous les autres sons, mais j’entends quand même la voix de mon copilote grâce au casque que nous portons.
– Qu’est-ce que tu en dis ? je demande. Envie de voler de tes propres ailes ?
– Mais on vole déjà maman, dit ma fille Charlotte sur le siège du copilote en montrant l’hélice. Si elle ne tournait pas, on ne volerait pas !
Je rigole de la façon dont cette enfant de sept ans prend tout au pied de la lettre.
– Voler de ses propres ailes est une expression qui signifie faire quelque chose toute seule. Aimerais-tu, toi, essayer de piloter l’avion pendant quelques secondes ?
Elle a les yeux écarquillés lorsqu’elle se tourne vers moi.
– Tu rigoles, hein maman ?
– Non. Je suis sérieuse.
– Mais on va s’écraser alors.
– Je te promets que non. Je serai à tes côtés tout le temps.
Je souris en regardant ma fille raisonner. Elle est si intelligente pour son âge et a déjà compris combien il est important de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Elle tient cela de son père, ainsi que ses cheveux noirs et ses yeux sombres.
– D’accord, dit-elle enfin. Mais seulement si tu m’aides.
– À la bonne heure ! Maintenant, prends le contrôle du volant de l’avion. Tu te souviens de comment on appelle ça ?
– Un manche ! Comme un manche à balai !
– Exactement. Le manche. Tiens-le à deux mains.
Elle obtempère immédiatement.
– Maintenant, pousse le manche vers l’avant très doucement, j’explique avec mes mains toujours sur mon propre manche. L’avion va alors piquer vers l’avant. C’est bien ! Comme ça !
Elle sursaute lorsque l’avion se met à descendre doucement, laissant apparaître le sol sous nos pieds. En réalité, elle ne contrôle pas vraiment, son manche étant verrouillé sur le mien. Même si elle tirait dessus, rien ne se produirait à moins que je ne le déverrouille. Il est bien trop dangereux de laisser un enfant de sept ans prendre les commandes d’un avion, même pour quelques secondes.
Mais elle ne le sait pas, et l’émerveillement qui se lit sur son visage en vaut vraiment la peine, même si c’est un pieux mensonge.
– Maman ! s’exclame Charlotte, paniquée. On arrête. Je veux plus piloter. Prends le relais !
– À moi les commandes, dis-je. C’était très bien, Charlotte ! Je suis fière de toi !
Elle fronce les sourcils, concentrée.
– J’ai eu un peu peur. Je ferai mieux la prochaine fois.
– J’en suis certaine. La maîtrise s’acquiert par la pratique. J’étais nulle en vol quand ton oncle Taylor m’a appris, mais maintenant, je suis une vraie experte.
– Pourquoi tu as attendu si longtemps pour avoir ta licence de pilote ? demande-t-elle. Oncle Taylor volait à quinze ans, mais toi, tu as attendu d’avoir un milliard d’années !
– Hé, là, Mademoiselle, j’avais encore la trentaine.
Charlotte se tourne vers moi avec un sérieux mortel.
– Je le sais. J’arrondis, c’est tout.
Je m’esclaffe.
– J’ai attendu tellement longtemps parce que, quand j’étais petite, je ne savais pas que je pouvais devenir pilote. Il n’y avait pas beaucoup de femmes pilotes à l’époque. J’ai commencé par être hôtesse de l’air, parce que j’aimais voyager. Mais après avoir rencontré ton père, ainsi que l’oncle Taylor et l’oncle Adam, j’ai appris à essayer plein de nouvelles choses. Et maintenant, il y a beaucoup de femmes pilotes, pas seulement moi !
– Je veux être pilote, dit Charlotte après quelques secondes de réflexion.
– Papa sera très heureux de l’apprendre, mais tu n’es pas obligée, tu sais ? Tu peux faire ce que tu veux.
– Je sais. Être pilote est une très bonne idée. Peut-être qu’un jour, je pourrai même faire voler des avions dans l’espace.
– Qui sait ? Mais tu es encore jeune. Tu as beaucoup de temps pour y réfléchir.
– Maman, j’ai sept ans, explique-t-elle avec condescendance. Je suis presque une adulte.
– Je crois que tu arrondis encore un peu, on dirait.
Elle acquiesce.
– T’as tout compris.
Je souris tout en forçant l’avion vers le bas pour perdre de l’altitude, car nous descendons vers l’aéroport. Une bonne décennie s’est écoulée depuis que le destin – et les taquineries de Dexter – m’a poussée dans les bras de Luke, Adam et Taylor. VAULT Airlines a connu quelques difficultés pendant les deux premières années, mais les affaires ont soudain commencé à monter en flèche. Nous sommes passés à trois jets, puis à cinq, et avons dû embaucher plus de personnel pour faire face à toutes les demandes de vols supplémentaires.
Et puis, il y a deux ans, quelqu’un nous a proposé de racheter l’entreprise.
La décision a été difficile à prendre, mais finalement, je reste convaincue que nous avons pris la bonne décision en vendant. Désormais, nous sommes tous les quatre riches et pouvons vivre notre vie sans nous soucier de l’argent.
Taylor effectue encore un vol privé par semaine sur son hydravion, celui dans lequel je pilote actuellement avec Charlotte. Il n’a jamais vraiment aimé piloter des jets privés et s’est souvent plaint du manque de contact personnel quand on est enfermé dans un cockpit, loin des passagers. Maintenant qu’il recommence à transporter des pêcheurs en haute mer dans le golfe, il est plus heureux que jamais.
Luke a décidé de continuer à voler pour VAULT, même après la vente de l’entreprise, ne serait-ce que pour s’occuper quelques fois par semaine. Mais il choisit toujours ses propres horaires, ce qui lui permet d’assister à tous les matchs de football ou de softball de Charlotte.
Adam est celui d’entre nous qui a eu le plus la bougeotte. Il est donc retourné travailler pour l’une des principales compagnies aériennes après la vente de VAULT.
– J’ai toujours envie de parcourir le monde, a-t-il déclaré à l’époque. Et surtout, je veux que ce soit aux frais de quelqu’un d’autre !
Et puis il y a moi. À la naissance de Charlotte, j’ai pris un congé de maternité d’environ un an avant de reprendre le travail. Mais nous avons vendu VAULT quand elle avait cinq ans, et j’ai alors décidé que je ne voulais plus m’occuper d’un avion rempli d’enfants alors que je pouvais me concentrer sur les miens. Je suis donc devenue une mère au foyer, ce que je n’aurais jamais imaginé il y a quelques années.
Mais c’est bien plus gratifiant que je ne le pensais. Charlotte est en CE1, ce qui signifie que j’ai pas mal de temps pour moi pendant la journée. J’en ai profité pour passer mon brevet de pilote, courir un semi-marathon et cultiver un jardin dans notre arrière-cour, tout en m’occupant de centaines d’autres plantes dans la maison. J’ai même une appli pour m’aider à savoir quels jours doit être arrosée chaque plante !
C’est incroyable les passions qu’on développe au fil des ans.
Nous atterrissons à l’aéroport régional de Sugar Land, où se trouve le hangar de Taylor, avant de rentrer à la maison. Après avoir vendu l’entreprise, nous avons acheté une grande maison dans la banlieue de Houston, sur un terrain de près d’un hectare. Le genre de maison à deux étages, entourée d’un porche, d’une clôture blanche et beaucoup trop de gazon à arroser dans la chaleur du Texas. C’est la maison idéale pour nous cinq.
– Tu ne nous as toujours pas dit ce que tu voulais pour ton anniversaire la semaine prochaine, lui dis-je sur le chemin du retour. Je regarde l’horloge dans la voiture – il est deux heures de l’après-midi. Juste à l’heure.
– Je m’en fiche, répond Charlotte. Un nouveau gant de softball, peut-être.
– Tu sais, on t’en achètera un nouveau si tu en as besoin. Tu ne veux rien d’autre ? Quelque chose de spécial ?
Elle hausse les épaules.
– Des livres ?
– Des livres, c’est bien, oui. Rien d’autre ?
– Hmm. Je n’ai pas vraiment d’idée.
J’essaie de réprimer un sourire. Elle ne va pas en croire ses yeux.
Nous nous garons dans l’allée de la maison, perchée sur une colline surplombant la rue. J’envoie un autre message à Luke ; il n’a pas répondu à celui que j’ai envoyé avant de quitter l’aéroport.
– Je veux dire à papa que c’est moi qui ai piloté l’avion ! s’exclame soudain Charlotte. (Avant que je puisse la retenir, elle saute de la voiture.) Je crois que je le vois dans le jardin.
– Attends, je lance, paniquée. Rentrons d’abord à la maison et… Charlotte, attends !
Trop tard : elle est déjà en train de sprinter sur le côté de la maison vers la cour arrière. Je la suis en grimaçant.
Elle pousse des cris d’excitation quand je la rattrape. Il y a trois énormes chênes dans notre jardin, et l’un d’eux est entouré d’échelles, de planches de bois et de tréteaux. Luke descend de l’une des échelles tandis qu’Adam se tient debout, les mains sur les hanches.
– Maman, regarde ! dit Charlotte. Ils me construisent une cabane dans l’arbre !
À six mètres de haut, le plancher de la cabane est terminé et les murs commencent à être montés. Mais le projet était censé être terminé à deux heures, heure à laquelle je rentrais à la maison après avoir distrait Charlotte pour que les gars puissent travailler dessus.
– J’ai envoyé un texto pour demander si c’était fini ! je lance aux mecs.
– Le portable était sur silencieux. On se concentrait sur notre tâche.
Luke passe un bras autour de ma taille et m’embrasse.
– J’ai gâché la surprise, dis-je.
– Tu n’as rien gâché du tout. En fait, c’est notre faute si on a pris autant de temps. On a été retardés par des… changements.
Soudain, Taylor émerge d’entre les branches. Il est suspendu dans les airs, les jambes enroulées autour d’une branche épaisse, un marteau à la main et plusieurs clous entre les dents. Il crache les clous pour me sourire.
– T’inquiète, tous ces changements sont pour un mieux. Pas question que notre fillette n’ait pas la meilleure des cabanes possibles.
– Les plans originaux n’étaient pas mauvais, intervient Luke. (On dirait qu’ils se sont pris la tête toute la matinée.) Plus c’est simple, mieux c’est.
– Sur ce point, on est généralement d’accord. (Taylor saisit une branche et se balance pour atterrir sur le sol de la cabane, ses bottes résonnant sur les planches de bois frais.) Charlotte, ma puce, tu veux monter jeter un coup d’œil à ce qu’on a fait jusqu’à présent ?
– J’adore ! s’écrie-t-elle en grimpant sur l’échelle de bois clouée dans le tronc du chêne. Je vais faire plein de soirées pyjama ici !
– Fais attention ! je m’exclame. Taylor, tu es sûre qu’elle peut monter là-haut avant que ce soit fini ?
Adam passe un bras autour de mon épaule et me rapproche de lui.
– T’inquiète. Taylor ne laissera rien lui arriver.
Taylor saisit Charlotte par les aisselles et la souleva jusqu’à la cabane.
– Alors, il y aura des murs tout autour, mais j’ajouterai une petite terrasse pour que tu puisses sortir.
– Je n’ai pas besoin de murs ! insiste-t-elle.
– Les cabanes dans les arbres doivent être comme des maisons normales, répond Taylor gentiment. Et les maisons normales ont des murs. Ça empêche la pluie d’entrer. Et les insectes.
– J’aime les insectes !
– Moi aussi, mais je ne veux pas qu’ils me mordent pendant que je fais une soirée pyjama ici.
– Tu feras une soirée pyjama avec moi, oncle Taylor ?
Il nous sourit.
– Bien sûr. Je suis le mec le plus cool de la bande, et il faut être vraiment cool pour être invité à une de tes soirées pyjama.
Luke s’éclaircit la gorge.
– Il s’autoproclame le mec le plus cool. Si on votait…
– Regarde ça, Charlotte, interrompt Taylor. On va mettre une corde sur cette branche, pour que tu puisses glisser jusqu’au sol.
– Ouah ! Cool !
Je prends Luke dans mes bras et le serre contre moi. Il est plus grand que moi et je dois appuyer ma joue contre le haut de son dos.
– Elle adore !
– Oh oui ! (J’entends le sourire dans sa voix.) Elle l’aimera encore plus quand ce sera fini.
– Je peux t’aider à la finir ? demande Charlotte.
– Peut-être, dit Adam. Tu peux tenir les clous pendant que je les enfonce dans l’arbre.
– Je peux faire plus que tenir des clous ! dit-elle avec assurance. Maman m’a laissé piloter l’avion aujourd’hui.
Mes trois amants se tournent vers moi.
– Eh oui ! réponds-je. (Puis, à voix basse, je chuchote :) Elle pensait qu’elle pilotait, mais je n’ai jamais déverrouillé son manche.
– Je m’en doutais, dit Luke. Tu es bien trop protectrice pour la laisser voler.
Je le lâche pour le rembarrer.
– Je ne suis pas trop protectrice !
– Maman, regarde ! Taylor me laisse manier le marteau !
– Ne perds pas l’équilibre ! j’insiste en faisant un pas vers l’arbre. (Je me force à m’arrêter et à me retourner pour faire face à Adam et Luke, qui me sourient.) D’accord, je le suis peut-être un peu. Mais je suis sa mère.
– Ne t’inquiète pas, Veronica, dit Luke. Avec nous quatre, Charlotte est bien protégée.
– Tiens, dit Adam en me tendant une scie. Tu peux m’aider à couper les planches à la bonne longueur.
Ensemble, en grande famille heureuse, nous nous mettons à l’œuvre pour terminer la cabane sous l’œil avisé de Charlotte.

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